Sunday, June 1, 2008

Méchant Corax

J'ai déjà eu l'occasion, par le passé, de parler de rhétorique sur Cloudy Days. Début 2007, j'avais publié un billet qui met Corax en scène. Je ne pense pas que tout le monde l'ait lu. Je crois que c'est le moment de le coller à nouveau en ligne, surtout que, dans la nuit, j'ai eu l'occasion de parler de la "maîtrise" du discours à Puuluki.

La rhétorique prend sont origine en Sicile
, alors colonie grecque. La chute des tyrans, tout particulièrement celle de Trasibul, roi de Sicile, en -465, entraîna la revendication, sous forme de procès, des propriétés privées dont s'étaient emparés les anciens chefs des villes siciliennes. Les causes étaient plaidées par les intéressés eux-mêmes devant des jurys populaires. A cette occasion, certains plaideurs surent recourir à des procédés qui leur assura la victoire. Les premiers, Corax et son disciple Tisias eurent l'idée de les noter, de les systématiser et de les enseigner. Ils rédigèrent des formulaires-guides à l'usage des parties en litige.
Vers -460, Corax écrivit un manuel : Technè rhétorikè, qui constituait un ensemble de préceptes pratiques éclairés par des exemples. Selon un témoignage d'Aristote repris par Cicéron, les discours oratoires auraient existé avant eux, mais non pas sous la forme de discours soumis à des règles de production précises.

C'est dans ce contexte qu'un certain Tisias, ayant entendu dire que la rhétorique est l'art de persuader, s'en va trouver Corax pour se former dans cet art. Mais une fois qu'il n'eut plus rien à apprendre, il voulu frustrer son maître du salaire promis. [O. Reboul, La rhétorique, PUF, 1996]
Les juges s'étant rassemblés, Tisias eut recours, dit-on, devant ce dilemme :

- Corax, qu'as-tu promis de m'apprendre ?
- L'art de persuader qui tu voudras.
- Soit, reprit Tisias : ou bien tu m'as appris cet art, et alors souffre que je te persuade de ne point toucher d'honoraires ; ou bien tu ne me l'as pas appris, et dans ce cas je ne te dois rien, puisque tu n'as pas rempli ta promesse."

Mais Corax à son tour riposta, dit-on, par cet autre dilemme :

- Si tu réussis à me persuader de ne rien recevoir, il faudra me payer, puisque j'aurai ainsi tenu ma promesse. Si au contraire tu n'y arrives pas, dans ce cas encore il faudra me payer, à plus forte raison !

En guise de verdict, les juges se contentèrent de dire :

- A méchant corbeau* méchante couvée !

*corbeau : Corax
04:30 PM - Mais qu'est-ce qu'il vous arrive, Puuluki, vous avez mangé une boite de thon sauce piquante avariée ?

3 comments:

  1. Ah! Je viens de comprendre!

    S'il arrive à le persuader, c'est qu'il a bien rempli sa fonction...

    Par contre, je n'ai pas compris, pourquoi, s'il n'a pas rempli sa mission, il devra le payer doublement, à plus forte raison (à part par correction)

    (non, non, Scheiro, je ne mange jamais de thon piquant, en fait, (trop gras pour peu de protéines, je préfère manger un poisson gras, alors! Ou un phoque, ou un sanglier, mais bon, ça dépend un peu des jours!)

    ReplyDelete
  2. Parce que si Tisias ne parvient pas a persuader Corax ça confirme que Corax est le maître et que si Corax est bien un maître sont enseignement doit être rétribué. Il n'est question de payer doublement Puuluki.

    En tout cas, je suis bien content de savoir que l'os de phoque qui vous était resté en travers de la gorge est enfin passé et que nos relations reprennent le cours normal des choses, parce que, si nous avions du nous fâcher, votre excellent sens de l'humour m'aurait terriblement manqué. Pour moi vous êtes aussi une philosophe parce que vous soulevez des problèmes, des questionnements que vous les mettez sous le regard de vos interlocuteurs de façon très pertinente, bien souvent, et ceci même si vous prétendez le contraire ou n'y être pour rien.

    ReplyDelete
  3. Oui, effectivement, il n'y a pas de "doublement", mais il y a "à plus forte raison".. :)

    ReplyDelete

Note: Only a member of this blog may post a comment.