Friday, October 17, 2008

Mégalopathes

Je distingue les mégalomanes, ces petits personnages qui se gonflent pour signaler leur présence, des mégalopathes, qui sont stigmatisés par le sentiment d'avoir affaire à plus grand qu'eux. La mégalopathie est la condition humaine telle que la philosophie l'explique. Sans elle, la philosophie n'est pas pensable, car il faut être déchiré par quelque chose qui nous dépasse pour penser. Hegel incarne à la fois la mégalopathie et la mégalomanie. Il souffre et il construit, comme tous les grands artistes du XIXe siècle qui, comme Ulysse, sont de grands souffrants, de divins endurants. Pour les penseurs contemporains, tels des petits-bourgeois qui travaillent sans relâche, la défense hégélienne de la contemplation est devenue incompréhensible. Hegel s'est permis le luxe de dire que la philosophie est une activité du dimanche. La philosophie, c'est le dimanche absolu. Sans la méditation des résultats de l'Histoire, pas de philosophie. Tous ses successeurs ont aboli le dimanche de la pensée et créé une sorte de camp de concentration intellectuel où le travail forcé s'impose jour et nuit, sans dimanche ni week-end. L'une des grandes conquêtes de l'humanité réside pourtant dans la création de la fin de semaine élargie. La modernité se caractérise par le fait que si Dieu n'avait besoin que d'un jour de repos, les hommes en ont besoin de deux ! Quand l'islam entrera sérieusement dans le jeu de la mondialisation, les judéo-chrétiens partageront l'idée du repos avec les gens du vendredi - on verra advenir la semaine de quatre jours. Pour anticiper cela, une bonne dose de mégalomanie peut être utile.
Peter Sloterdijk

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