Monday, February 9, 2009

Les gogooglelisés

Barbara Cassin, philosophe et directrice de recherche au CNRS, dénonce sur Rue89, le "scandale" de la méthode de notation - évaluation des enseignants-chercheurs - qui, à l'instar de Google, fait que "la qualité devient une propriété émergente de la quantité".
Pour Google, ce qui est mis au-dessus, c'est ce vers quoi le plus de sites renvoient, c'est-à-dire une pratique de citations. C'est comme ça que ça se passe pour les chercheurs. Plus vous écrivez de textes dans des revues répertoriées, plus ces textes sont cités, plus vous êtes bien classés.
Valérie PécresseJean-Marie Brohm, philosophe et sociologue, que je connais d'assez près, donne une idée plus complète de ce qui freine la recherche et tout le reste. Son analyse, Sociologie critique et critique de la sociologie, s'applique, à mon avis, à tous les départements de l'Université française.
L’une des dimensions les plus critiques de la sociologie critique est l’analyse non euphémisée des mœurs et pratiques professionnelles des sociologues. On juge quelqu’un, disait Marx, non pas sur ce qu’il dit ou écrit, mais sur ce qu’il fait. Or, les diverses “équipes”, coteries, corporations, écuries, réseaux affinitaires, sociétés secrètes qui font et défont la sociologie sont pris dans d’impitoyables logiques de pouvoir et de concurrence où les jeux ne sont pas tous de langage et les enjeux jamais ludiques. Les gestions de carrière (les promotions...), les nominations (les mutations...), les ambitions de carrière (les habilitations individuelles et collectives, les responsabilités administratives), les publications dans les revues, les colloques, les jurys de thèse, les voyages à l’étranger donnent lieu à de peu reluisantes violences symboliques (rumeurs calomnieuses, insinuations, excommunications, amagalmes, etc.) ou, pire, administratives (blocages de carrière, marginalisation, harcèlement) dont sont d’abord victimes les jeunes sociologues. Ce n’est que rarement ou alors par discrète allusion que sont évoquées les pratiques de lynchage des “meutes” sociologiques pour paraphraser Elias Canetti (Canetti 1966). La sociologie de la sociologie et des sociologues refoule ainsi soigneusement les luttes de places, les stratégies de classement, déclassement et reclassement, les alliances douteuses, les connivences sans principes, les refus d’argumentation, les exclusives disqualifiantes, la mauvaise foi et l’opacité bureaucratique qui sont l’apanage de toute nomenklatura et que l’on peut régulièrement observer dans les commissions locales de recrutement, les comités de lecture des revues et des éditions, les comités d’expertise et d’évaluation et par dessus tout au CNU (Conseil national des universités) qui décide du sort des jeunes entrants et du prestige des vieux sortants (la fameuse classe exceptionnelle...).
"On le voit, la sociologie critique dispose de peu d’espace pour exister..." dit Brohm, en conclusion. Mais la connerie a largement la place pour se développer et prospérer, n'est-ce pas ?

3 comments:

  1. Mouais. Sauf qu'il ne suffit pas de produire beaucoup pour être cité. Ce qui fait qu'un article scientifique est cité, c'est sa qualité.

    Désolé, mais je ne suis pas du tout d'accord. L'indice de lecture est un moyen, parmi d'autres d'évaluer la qualité d'un travail de recherche. Ce qui ne signifie pas évaluer la qualité d'un chercheur, dont on imagine bien qu'on ne lui demande pas que d'écrire des articles.

    ReplyDelete
  2. En théorie, certainement, LOmiG. Mais tu sais bien, qu'en réalité, le nombre de publications comptabilisées en fonction de l'importance des revues et des maisons d'éditions est quelque chose de capital dans la carrière d'un enseignant-chercheur, tout au moins en sciences humaines.

    ReplyDelete
  3. @Lomig : "Ce qui fait qu'un article scientifique est cité, c'est sa qualité". Sur quelle planète tu vis ?

    ReplyDelete

Note: Only a member of this blog may post a comment.